mercredi 19 décembre 2012

Inceste : Décision n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011


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Décision n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011
M. Claude N.
(Définition des délits et crimes incestueux)

I. – Dispositions contestées

A. – L’inceste en droit français

1. – Avant la loi n° 2010-121 du 8 février 2010

La loi n° 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le CP et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux a fait entrer l’adjectif « incestueux » dans le droit français. Avant cette loi, sans recourir expressément à la notion d’inceste, des dispositions civiles assuraient le refus de reconnaître un quelconque statut juridique à une relation incestueuse et des dispositions pénales réprimaient certains actes sexuels incestueux.

– Le code civil interdit le mariage en ligne directe, entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne (article 161), en ligne collatérale entre le frère et la soeur (article 162) et, enfin, entre l’oncle et la nièce ou la tante et le neveu (article 163).

Toutefois le Président de la République peut lever pour cause grave les prohibitions prévues par le dernier cas (oncle/nièce ou tante/neveu), ainsi que celles entre alliés en ligne directe lorsque la personne qui a créé l’alliance est décédée (article 164).

En outre, l’article 310-2 du code civil interdit l’établissement du second lien de filiation lorsqu’il existe entre les père et mère un des empêchements absolus1 à mariage.

Lorsqu’il a examiné les dispositions de l’article 515-2 du code civil qui interdisent le pacte civil de solidarité (PACS) « entre ascendant et descendant en ligne directe, entre alliés en ligne directe et entre collatéraux jusqu’au troisième degré inclus », le Conseil constitutionnel a jugé que le « législateur, afin de prendre en compte l’intérêt général tenant à la prohibition de l’inceste, a pu interdire la conclusion d’un pacte civil de solidarité, sous peine de nullité absolue, entre des personnes entre lesquelles existe l’un des liens de parenté ou d’alliance mentionnés par le 1° de l’article 515-2 nouveau du code civil »2.

– En droit pénal, trois séries d’infractions s’analysent, avec certaines circonstances aggravantes, comme visant à réprimer des actes incestueux.

L’atteinte sexuelle est définie par l’article 227-25 du CP comme « le fait, par un majeur, d’exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur ». Sur un mineur de quinze ans, elle est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Cette répression est aggravée (dix ans et 150 000 euros) lorsque l’auteur de l’atteinte est une personne ayant autorité sur la victime (article 227-26 du CP).

S’agissant d’un mineur de plus de quinze ans et non émancipé par le mariage, l’atteinte sexuelle n’est réprimée que lorsqu’elle est commise par un ascendant ou par une personne ayant autorité sur le mineur ou qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions. Elle est alors punie de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende (article 227-27 du CP).

L’agression sexuelle est un délit défini par l’article 222-22 du CP comme « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ». Elle est punie de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende (article 222-27 du CP). Les circonstances aggravantes peuvent porter la répression jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende (article 222-30 du CP).

S’il y a « acte de pénétration sexuelle », l’agression sexuelle est alors qualifiée de viol (article 222-23), crime puni de quinze ans de réclusion. Les circonstances aggravantes peuvent porter la durée de réclusion à vingt ou trente ans ou à la perpétuité.

Le délit d’agression sexuelle et le crime de viol sont notamment aggravés lorsqu’ils sont commis « par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ».

2. – La loi n° 2010-121 du 8 février 2010

En juillet 2005, Christian Estrosi, député, nommé parlementaire en mission par le Premier ministre, a rendu un rapport intitulé Faut-il ériger l’inceste en infraction spécifique ? Il était noté en conclusion : « Au terme de sa réflexion sur l’opportunité d’ériger l’inceste en infraction spécifique, la mission a tenté de traduire juridiquement cet interdit majeur de notre société tout en étant soucieuse d’éviter les écueils dus à l’application de la loi dans le temps.

« C’est une voie médiane, prenant en compte ces deux impératifs, que le présent rapport propose d’emprunter.

« Partant du constat que le code pénal, sans les désigner comme tels, réprime déjà la plupart des actes incestueux, la mission a jugé préférable de perfectionner ce système plutôt que d’en bouleverser l’économie.

« Dans cette optique, le présent rapport a, en premier lieu, souhaité mettre en exergue les comportements incestueux : par souci de coordination avec les dispositions du code civil, il est recommandé d’introduire dans le code pénal le concept d’"atteintes sexuelles incestueuses", qui se déclinerait en viols, autres agressions sexuelles et atteintes sexuelles. Cette notion reposerait sur une liste d’auteurs, reprenant les individus visés par les empêchements au mariage et au pacte civil de solidarité »3.

La proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par Marie-Louise Fort4 s’inscrivait à l’origine dans une logique différente puisqu’elle tendait, après avoir défini le périmètre des relations incestueuses, à faire de cette qualification un facteur aggravant pour l’atteinte sexuelle (qui devenait une agression sexuelle dès lors qu’elle était incestueuse) et qui conduisait à une nouvelle catégorie de viol défini comme « tout acte de pénétration sexuelle incestueux » (sous-entendu « même consenti »).

Les difficultés que soulevait cette nouvelle qualification ont conduit à retenir un dispositif différent. En définitive, l’article 1er de la loi insère dans le CP deux articles 222-31-1 et 222-31-2 (pour l’agression sexuelle et le viol) et l’article 227-27-2 (pour l’atteinte sexuelle) qui prévoient que ces infractions sont qualifiées d’incestueuses lorsqu’elles sont commises « au sein de la famille sur la personne d’un mineur par un ascendant, un frère, une soeur ou par toute autre personne, y compris s’il s’agit d’un concubin d’un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ».

Ainsi, comme l’indique le titre de la loi adoptée, il n’y a pas de création d’une nouvelle infraction d’inceste, mais institution d’une nouvelle qualification applicable à des infractions déjà existantes. Comme l’écrit la circulaire de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice : « D’un point de vue juridique (sic !), les articles 222-31-1 et 227-27-2 créent une forme de "surqualification" d’inceste, qui se superpose aux qualifications et circonstances aggravantes existantes en matière de viols, d’agressions sexuelles et d’atteintes sexuelles, mais ne constituent nullement de nouvelles incriminations et ne modifient pas les peines encourues. »5

Ainsi, en tant que tel, l’inceste demeure en dehors du droit pénal dès lors qu’il ne met pas en cause des mineurs victimes : d’une part, les relations sexuelles consenties entre des personnes majeures d’une même famille demeurent étrangères à toute répression pénale ; d’autre part, un père qui violerait sa fille majeure ou un fils mineur qui violerait sa mère serait coupable de viol, mais non de viol incestueux.

Il ressort des travaux parlementaires que l’objectif poursuivi en assurant une forme de « neutralité pénale » de cette nouvelle qualification a été de permettre l’application de la loi aux infractions commises avant son entrée en vigueur, dans un but notamment statistique et pour ne pas reporter la « détection » de l’inceste aux seuls faits commis postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi.

II. – Examen de la constitutionnalité

Le requérant invoquait la violation du principe de légalité des délits et des peines en ce que la nouvelle qualification pénale fait référence à la famille sans la définir. Il invoquait également la méconnaissance du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.

A. – Le principe de légalité des délits et des peines

La jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le principe de légalité des délits et des peines et l’exigence de précision de la loi pénale qui en résulte, est ancienne, constante et abondante : « aux termes de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée ; il en résulte la nécessité pour le législateur de définir les infractions en terme suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire. »6 En particulier, l’infraction est édictée en méconnaissance du principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines si la détermination de son auteur est incertaine7.
Ainsi, par exemple, le Conseil a prononcé, sur le fondement de la méconnaissance de ces exigences, plusieurs censures :

par sa décision n° 2000-433 DC du 27 juillet 2000 concernant la loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dont une disposition subordonnait la mise en oeuvre de la responsabilité pénale des « hébergeurs », d’une part, à leur saisine par un tiers estimant que le contenu hébergé « est illicite ou lui cause un préjudice », d’autre part, à ce que, à la suite de cette saisine, les hébérgeurs n’aient pas procédé aux « diligences appropriées », le Conseil a estimé qu’en omettant de préciser les conditions de forme d’une telle saisine et en ne déterminant pas les caractéristiques essentielles du comportement fautif de nature à engager, le cas échéant, la responsabilité pénale des intéressés, le législateur a méconnu la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution (cons. 58, 60 à 62) ;
par sa décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006 concernant la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, le Conseil constitutionnel avait jugé que le législateur ayant fait de l’« interopérabilité » un élément qui conditionne le champ d’application de la loi pénale, il devait définir en des termes clairs et précis le sens qu’il attribuait à cette notion dans ce contexte particulier et qu’en s’abstenant de le faire, il avait porté atteinte au principe de légalité des délits et des peines (cons. 59 à 61) ;
par la même décision, le Conseil a examiné la réforme de l’article L. 335-2-1 du code de la propriété intellectuelle qui punit le fait d’éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d’oeuvres ou d’objets protégés et d’inciter sciemment à l’usage d’un tel logiciel et précise que ces dispositions « ne sont pas applicables aux logiciels destinés au travail collaboratif, à la recherche ou à l’échange de fichiers ou d’objets non soumis à la rémunération du droit d’auteur ». Il a estimé que la notion de « travail collaboratif » n’était pas suffisamment claire et précise pour satisfaire au principe de légalité des délits et des peines (cons. 54, 56 et 57)
Ainsi, le Conseil constitutionnel ne censure pas seulement des notions nouvelles et méconnues qu’il appartiendrait au législateur de définir ; sa jurisprudence vise également des notions courantes mais trop imprécises pour pouvoir fonder, sans précisions adéquates, le champ d’application de la loi pénale.

En revanche, il a rejeté une telle méconnaissance de définition claire et précise dans les cas suivants :.

par sa décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002 relative à la loi de modernisation sociale, le Conseil a précisé, s’agissant d’une disposition instaurant le délit de harcèlement par un employeur portant atteinte aux droits des salariés, que « si l’article L. 122-49 nouveau du code du travail n’a pas précisé les " droits " du salarié auxquels les agissements incriminés sont susceptibles de porter atteinte, il doit être regardé comme ayant visé les droits de la personne au travail, tels qu’ils sont énoncés à l’article L. 120-2 du code du travail ; que, sous cette réserve, doivent être rejetés les griefs tirés tant du défaut de clarté de la loi que de la méconnaissance du principe de légalité des délits » (cons. 83) ;
dans la même décision, il a estimé que ne méconnaissait pas le principe de légalité des délits et des peines la disposition selon laquelle le chef d’entreprise ne peut procéder à une annonce publique dont les mesures de mise en oeuvre sont de nature à affecter « de façon importante » les conditions de travail ou d’emploi des salariés, qu’après avoir informé le comité d’entreprise, l’inobservation de ces prescriptions étant punie des peines prévues aux articles L. 483-1, L. 483-1-1 et L. 483-1-2 du code du travail relatifs au délit d’entrave au fonctionnement des comités d’entreprise (cons. 62 à 67) ; l’emploi des termes « de façon importante » laisse une certaine marge d’appréciation au juge pour apprécier une situation qu’il est difficile au législateur de quantifier de manière a priori ;
par sa décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003 relative à la loi pour la sécurité intérieure, le Conseil a considéré que le principe de légalité des peines n’est pas méconnu par les dispositions critiquées, dès lors que celles-ci définissent en termes clairs et précis le délit de « racolage public » (cons. 60 à 62) ;
dans sa décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003 concernant la loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, le Conseil a énoncé que les dispositions qui prohibaient et réprimaient, d’une part, le fait de contracter un mariage « aux seules fins d’obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour, ou aux seules fins d’acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française » et, d’autre part, l’organisation d’un mariage aux mêmes fins, définissaient les faits incriminés de manière suffisamment claire et précise, sans porter atteinte au principe de la légalité des délits et des peines (cons. 43) ;
par sa décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004 relative à la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, le Conseil constitutionnel a considéré comme suffisamment claires et précises des dispositions nouvelles concernant des infractions commises en « bandes organisées » en relevant, d’une part, que cette notion existait dans le CP depuis 1810 et avait été reprise depuis par plusieurs réformes, d’autre part, que « la jurisprudence dégagée par les juridictions pénales a apporté les précisions complémentaires utiles pour caractériser la circonstance aggravante de bande organisée, laquelle suppose la préméditation des infractions et une organisation structurée de leurs auteurs », enfin, que « la convention (...) des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, ratifiée par la France, a adopté une définition voisine en invitant les États adhérents à prendre les mesures adéquates pour lutter efficacement contre tout "groupe structuré de trois personnes ou plus existant depuis un certain temps et agissant de concert dans le but de commettre une ou plusieurs infractions graves ou infractions établies conformément à la présente Convention, pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel" » (cons. 13) ; ces motifs ont été repris dans la décision n° 2010-604 DC du 25 février 2010 relative à la loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public (cons. 9) ;
par la décision n° 2006-540 DC précitée, le Conseil a jugé que les termes « manifestement destinés » et « sciemment » sont suffisamment clairs et précis pour que les dispositions de caractère pénal qui s’y réfèrent ne méconnaissent pas le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines (cons. 56) ;
par sa décision n° 2010-85 QPC du 13 avril 2011 sur les sanctions civiles réprimant le « déséquilibre significatif » dans les relations commerciales, le Conseil constitutionnel a écarté le grief d’imprécision de la loi au motif que le législateur s’est référé à une notion qui figure déjà dans le code de la consommation, reprenant les termes d’une directive communautaire, que la jurisprudence en a déjà précisé la portée, que la juridiction saisie peut consulter8 une commission composée des représentants des secteurs économiques intéressés et qu’en outre la sanction encourue est seulement pécuniaire (cons. 4).
En résumé, une « infraction » qui ne serait pas définie dans un texte de manière claire et précise, ou ne serait pas explicitée, peut ne pas entraîner d’inconstitutionnalité, si d’autres textes du même domaine8 ou la jurisprudence ont apporté les éclaircissements permettant de compléter les lacunes du texte.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a elle-même développé une jurisprudence sur ce principe : « on ne peut considérer comme une " loi " qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite ; en s’entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé. Elles n’ont pas besoin d’être prévisibles avec une certitude absolue : l’expérience la révèle hors d’atteinte. En outre la certitude, bien que hautement souhaitable, s’accompagne parfois d’une rigidité excessive ; or le droit doit savoir s’adapter aux changements de situation. Aussi beaucoup de lois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moins vagues dont l’interprétation et l’application dépendent de la pratique. »9

B. – Application au cas d’espèce

Pour s’opposer au grief tiré de ce que la disposition contestée ne respecterait pas l’exigence de précision de la loi pénale, le Secrétariat général du Gouvernement soutenait que la loi n’avait pas institué une incrimination et n’entraînait aucune répression. Il ne se serait agi que de permettre de « détecter » l’inceste. La finalité aurait été uniquement statistique. C’est ce qui aurait expliqué que la nouvelle « surqualification » s’appliquerait immédiatement aux infractions commises avant l’entrée en vigueur de la loi.
Venaient à l’appui de cette interprétation les travaux parlementaires de la loi qui montrent une tentative pour vider de sa portée juridique l’introduction de la qualification d’inceste dans le CP.

Le requérant s’opposait à cette argumentation en faisant valoir : « En réalité, il s’agit bien d’aggraver la situation de l’accusé, soit il s’agit de qualifier pénalement les faits, sous une nouvelle incrimination de " viols ou agressions sexuelles incestueux " ; il s’agit alors d’une loi de fond, d’incrimination. Soit il s’agit de frapper l’intéressé d’un sceau d’infamie spécifique : non seulement l’accusé a commis ces faits, mais ces faits sont incestueux – terme qui exprime évidemment l’opprobre de toute la société – Et ce sceau d’infamie constitue alors à lui seul une sorte de peine complémentaire qui ne dit pas son nom. À vrai dire, qu’il s’agisse d’une qualification pénale déguisée, ou d’une peine complémentaire qui ne dit pas son nom, peu importe : en toute hypothèse, par une réponse affirmative à la question spécifiquement créée par le législateur sur ce point, le sort de l’accusé (ou du prévenu) est aggravé. Cette qualification stigmatise spécialement son comportement et engendre un opprobre et une marque d’infamie lors de la déclaration de culpabilité. En outre, cette qualification figure au casier judiciaire, et est de nature à exercer une influence déterminante dans l’esprit des jurés sur le quantum de la peine effectivement prononcée, dans le sens d’une aggravation, jurés dont l’attention a été spécialement attirée sur ce point par la question spécifiquement posée. »

Le Conseil n’a pas fait sienne l’argumentation du Gouvernement et a estimé que la disposition soumise à son examen instaurait une nouvelle qualification pénale qui devait répondre, notamment, aux exigences de l’article 8 de la Déclaration de 1789.

La proposition de loi initiale de la loi du 8 février 2010 comportait une définition précise du champ de l’incrimination : étaient visées les atteintes ou agressions sexuelles commises par un ascendant, un oncle, une tante, un frère, une soeur, une nièce ou un neveu ainsi que par le conjoint, concubin ou partenaire lié par un PACS à l’une de ces personnes.
Cette définition a été critiquée dès les débats à l’Assemblée nationale tantôt à raison du caractère trop limitatif de cette définition qui pouvait laisser hors du champ de la qualification des actes que les victimes pourraient penser comme relevant de ce qu’on appelle communément l’inceste, tantôt à raison de son champ beaucoup plus large que celui des prohibitions qu’instaure le code civil.

Définir l’inceste implique indirectement une définition de la famille. Les débats parlementaires de la loi du 8 février 2010 montrent qu’il s’agit d’un exercice délicat compte tenu des différences de conception qui se sont exprimées.

Les difficultés de définition du périmètre des actes incestueux ont conduit le Sénat à retenir une rédaction différente et « à substituer à la stricte énumération des auteurs d’actes incestueux une référence plus large aux violences commises au sein de la famille par un ascendant ou une personne ayant autorité sur la victime afin de permettre aux juges de tenir compte de l’ensemble des configurations familiales dans lesquelles les violences sexuelles auraient été infligées »10. Le rapport a donc préconisé « une référence plus générale et volontairement imprécise à la notion de violences commises au sein de la famille »11. C’est cette orientation qui a été finalement retenue.

Comme l’analyse Stéphane Detraz, « si l’inceste est commis par "toute autre personne", il faut caractériser tout à la fois l’existence d’"une autorité de droit ou de fait" dont elle dispose sur la victime et la circonstance que l’acte illicite a eu lieu "au sein de la famille". A contrario, l’inceste est absent si l’acte est réalisé soit par un membre de la famille de la victime n’ayant pas autorité sur celle-ci et n’étant au surplus ni un ascendant, ni un frère ou une soeur (cousin ou cousine, oncle ou tante, etc.), soit par une personne ayant autorité mais n’étant pas un membre de la famille. (…)

« Il reste alors à déterminer qui appartient à la famille de la victime, la loi ne définissant pas cette notion insaisissable. À cet égard, les articles 222-31-1 et 227-27-2 du code pénal précisent que, s’il a autorité sur elle, le concubin d’un membre de la famille de la victime peut se rendre auteur d’un inceste ; a fortiori en va-t-il de même pour le conjoint ou le partenaire. Le problème majeur (celui du compagnon de la mère) est donc réglé par la loi elle-même. Tel n’est pas le cas, en revanche, pour les membres de la famille du conjoint, du partenaire, du concubin du membre de la famille de la victime (tel le fils du mari de la mère de la victime) »12.

Cette imprécision de la loi a été largement critiquée par la doctrine : « La définition proposée de l’inceste s’avère ainsi à la fois trop large et trop étroite, héritière d’une conception hésitante de la famille. »13 « On peut regretter ensuite que la famille… soit une notion mal cernée par la loi qui se contente d’indiquer que l’inceste doit être commis "au sein de la famille." »14

La référence à la notion de famille ne pouvait apparaître comme répondant aux critères de précision de la loi pénale. On ne pouvait retenir, comme le soutenait le Gouvernement dans ses observations, qu’elle vise toutes les personnes qui présentent un lien de parenté ou d’alliance. Une telle définition permettrait une extension indéfinie du champ de l’incrimination.

Le code civil ni aucun autre texte législatif ne donne une définition précise de la famille. Dès lors qu’une certaine précision est nécessaire, le droit énumère les personnes visées. Ainsi, le sixième degré15 est un critère pour certaines règles en matière d’adoption16 ou pour définir les héritiers ab intestat en ligne collatérale17. Si le code civil fait parfois référence, dans le droit du mariage et des régimes matrimoniaux, aux « intérêts de la famille », il s’agit d’une définition très étroite qui renvoie seulement aux époux et aux enfants des époux18. Les références plus larges à la notion de famille sont volontairement imprécises pour tenir compte de la réalité sociale, notamment dans l’établissement de la filiation par la possession d’état19. Cette imprécision pragmatique de la notion civile de famille est incompatible avec la rigueur de l’interprétation du droit pénal.

Il est incontestablement loisible au législateur d’instituer une qualification spécifique destinée à permettre de désigner comme incestueux certains agissements sexuels. Il n’est d’ailleurs pas tenu de retenir une définition pénale de l’inceste identique à celle retenue par le code civil pour les prohibitions à mariage. Toutefois, le principe de précision de la loi pénale impose que le législateur désigne précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette qualification, comme membres de la famille. La notion même d’inceste implique de définir une limite de proximité familiale au-delà de laquelle les relations sexuelles sont admises. Le code civil prohibe le mariage jusqu’au troisième degré en ligne collatérale. En droit pénal, c’est au législateur de fixer également une limite. Il ne pouvait pas déléguer au juge le pouvoir de le faire en fonction des circonstances.

Pour ces motifs, le Conseil, dans sa décision n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011, a déclaré l’article 222-31-1 du CP contraire à la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a précisé, en application de l’article 62 de la Constitution, que l’abrogation de cet article prend effet dès la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Elle est applicable à toutes les procédures non définitivement jugées à cette date. Lorsque l’affaire est définitivement jugée à cette date, le Conseil constitutionnel a jugé que la qualification selon laquelle le crime ou délit présente un caractère « incestueux » devait être retirée du casier judiciaire.



1 C’est-à-dire pour lequel le Président de la République ne peut accorder de dispense.
2 Décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999, Loi relative au pacte civil de solidarité, cons. 55.

3 C. Estrosi, Faut-il ériger l’inceste en infraction spécifique ? Mission parlementaire, La Documentation française, juillet 2005, p. 42-43.
4 Marie-Louise Fort, Proposition de loi visant à identifier, prévenir, détecter et lutter contre l’inceste sur les mineurs et à améliorer l’accompagnement médical et social des victimes, Assemblée nationale, 18 mars 2009.

5 Circulaire du Directeur des affaires criminelles et de grâces n° JUSD1003942 du 9 février 2010, p. 4.

6 Décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, cons. 7
7 Décision n° 84-181 DC du 11 octobre 1984, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, cons. 30.

8 Décision n° 2010-604 DC précitée, cons. 9.
9 CEDH, 26 avril 1979, Sunday Times c. Royaume-Uni, n° 6538/74, § 49, 2 août 1984, Malone c. Royaume-Uni, n° 8691/79, §66, et 21 octobre 2008,

10 Laurent Béteille, Rapport fait au nom de la commission des lois, Sénat, session ordinaire de 2008-2009, n° 465, p. 5.
11 Idem, p. 31.
12 S. Detraz, « L’inceste : l’inconnu du droit positif », Gazette du palais, 4 mars 2010, n° 63, p. 10.
13 A. Montas et G. Roussel, « La pénalisation explicite de l’inceste, nommer l’innommable », In Archives de politique criminelle, n° 32, 2010, p. 301.
14 I. Corpart, « Les incidences de l’inscription de l’inceste dans le code pénal », Revue juridique personnes et familles, n° 6, juin 2010, p.10.

15 Cousins « issus de germains ».
16 Code civil, article 348-5.
17 Code civil, article 745.
18 Code civil, articles 220-1.
19 Code civil, article 311-1.


Avoir :
Les infractions sexuelles.
La loi en France du viol et des autres agressions sexuelles.
L'inceste.
L'inceste dans le Code Pénal.
Inceste : Décision n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011.
Le viol.
La prostitution.
Les mariages forcés concernant les mineurs.
Code pénal : Article 227-23 - Le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d'enregistrer ou de transmettre l'image ou la représentation d'un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 Euros d'amende.
Déontologie : La diffamation et l'injure.
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